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Roland-Garros joue les prolongations avec les Championnats de France Seniors
Alors que la trêve dominicale du « Middle Sunday » sévit à Wimbledon, retour à Roland-Garros, où les 35-75 ans se disputent le titre national individuel sur terre battue.
Roland-Garros joue les prolongations avec les Championnats de France Seniors
LE MONDE | 05.07.2015 à 18h42 • Mis à jour le 05.07.2015 à 19h08 | Par Patricia Jolly

Les meilleurs joueurs de tennis mondiaux se sont mis « au vert » sur le gazon britannique de Wimbledon, mais la terre battue de Roland-Garros n’est pas en jachère pour autant. Après l’annuel tournoi du Grand Chelem, de discrètes mais très sérieuses prolongations se jouent au stade de la Porte d’Auteuil, du 23 juin au 9 juillet. Du court numéro 4 au court numéro 18, on dispute les championnats de France individuels Seniors Plus. L’événement est ouvert aux joueuses et joueurs licenciés à la Fédération française de Tennis (FFT) âgés de 35 à 75 ans, vainqueurs dans leur catégorie d’âge des championnats des 36 ligues régionales que comptent l’Hexagone. Et l’on change de catégorie d’âge tous les cinq ans.
Si le public se réduit à quelques membres de la famille, offrant ainsi une circulation délicieusement et inhabituellement fluide dans les allées du stade, les sous-sols du court Suzanne-Lenglen, où se concentrent bureau du juge-arbitre, vestiaires, cafétéria et service médical, sont en ébullition. Les enceintes crachent leurs annonces comme dans les tournois de renommée mondiale : « X et Y, court numéro 6 ! » Et il faut voir ces dames et messieurs hâlés, aux jambes superbement galbées et aux tenues impeccables se précipiter – chargés de sacs à raquettes de vrais pros – au devant d’une victoire espérée ou d’une défaite redoutée.
« Faire plaisir à mes quatre petits-enfants »
Annick Didier s’est levée à 5 heures du matin pour venir du Val-d’Oise avec son époux – professeur d’EPS à la retraite – et Manon, leur petite fille de 12 ans. Celle-ci lui a demandé tout le trajet si elle ne « stressait pas trop de jouer à Roland-Garros ». Convoquée à 8 heures 30 pour un match de deuxième tour qu’elle a concédé (6-0, 6-0) à Denise Hugard, venue de la Côte d’Azur, la jeune grand-mère garde le sourire. « Ma seule vraie motivation, c’est de faire plaisir à mes quatre petits-enfants, qui sont fiers que je sois sélectionnée tous les ans », assure-t-elle. Cette ancienne pharmacienne de 65 ans, classée 15/4, plaisante en prenant un café avec celle, classée 15/1, qui l’a logiquement dominée.
« Mes copines de club ont essayé de m’encourager en me disant que vous ne supporteriez peut-être pas bien la chaleur, mais je ne me faisais pas d’illusion, sachant que vous étiez du sud », avoue Mme Didier à Mme Hugard. Les précautions prises par la vainqueur pour déjouer les inconvénients de la canicule lors des changements de côté – poche de glace pour le cou et serviette mouillée pour le reste du corps – s’avèreront cependant insuffisantes. Dès le lendemain, Mme Hugard sera battue (2-6, 7-6, 6-0) après avoir mené 6-2, 5-2, 30 partout…
« A ce moment là, j’ai commencé à avoir des étoiles devant les yeux et je n’ai plus mis une balle dans le court », explique-t-elle dans les vestiaires à une connaissance de la catégorie des 70 ans qui vient, elle, d’abandonner sur claquage aux ischio-jambiers « à 5-5 au premier set après avoir mené 5-2 ». Et c’est dans un fauteuil roulant que son attentionné époux est allé quérir au service médical que la dame, agacée de ce mauvais tour de son corps, ira finalement se restaurer à la cafétéria aux murs tapissés d’écrans géants sur lesquels l’assistance suit attentivement le déroulement des matchs de… Wimbledon.
Les championnats de France individuels Seniors Plus ont pourtant leurs propres stars. Nicole Hesse-Cazaux, bientôt 67 ans, est une figure incontournable de cette compétition. Elle s’y est alignée pour la première fois à l’âge de 40 ans, « car à cette époque la catégorie des 35-40 ans n’existait pas », précise-t-elle. Elle ne compte plus ses titres nationaux individuels – « 21 ou 22 », estime-t-elle –, qui lui valent chaque année, avec les trois autres demi-finalistes du tableau, de faire partie de l’équipe de France qui dispute les Championnats du monde par équipe.
« En catégorie vétéran, je ne suis plus la star de la famille »
Les recommandations de prudence contre la canicule qui constellent les murs des sous-sols du court Suzanne-Lenglen ne soucient guère cette dame classée 5/6 et licenciée au Lagardère-Paris-Racing, où son époux enseigne le tennis. « J’adore la chaleur et j’y résiste bien, explique-t-elle. Je suis née à Alger où j’ai commencé le tennis à l’âge de 7 ans, dans le même club que Patrice Dominguez et Françoise Dürr. »
C’est peu dire que le tennis est toute sa vie et que les courts de Roland-Garros lui sont familiers. A son arrivée à Paris, à l’âge de 14 ans, licenciée au Racing Club de France, elle a été repérée par la FFT et entraînée à la Porte d’Auteuil. Parvenue en première série, elle a régulièrement participé aux Internationaux de France dans les années 1970. « Mais je me suis mariée, j’ai eu très jeune mes deux premières filles et, mon mari n’y étant pas très favorable, je n’ai jamais voyagé sur les tournois étrangers », explique Nicole Hesse-Cazaux. Elle était en ce temps-là l’épouse de Christian Bîmes, président de la ligue Midi-Pyrénées, qui devint ensuite président de la Fédération française de tennis (FFT), de 1993 à 2009.
Tour à tour cadre technique et enseignante en club, Nicole Hesse-Cazaux suit aujourd’hui avec son mari, Yannick Hesse, leur fille Amandine, 22 ans, 9e joueuse française et 215e joueuse mondiale, sur le circuit WTA. Celle-ci a franchi le premier tour des derniers Internationaux de France, et les fils de ses demi-sœurs aînées sont venus du sud de la France la soutenir. « En catégorie vétéran, je ne suis plus la star de la famille », feint de regretter leur grand-mère, qui n’a rien perdu de son mental de gagnante. « A nos âges, on devrait avoir dépassé le stade de la rivalité, mais nous avons quand même nos bêtes noires », reconnaît-elle.
La sienne se nomme Gail Benedetti et a 70 ans. On connaît aussi cette native d’Australie, naturalisée française dans les années 1960, et également licenciée au Lagardère Paris Racing, sous les patronymes de Chanfreau ou Lovera qu’elle portait lorsqu’elle a gagné le double féminin des Internationaux de France avec Françoise Dürr en 1967, 1970, 1971 et 1976. Mme Benedetti parle du tennis comme d’une passion qui la consummera jusqu’à ce qu’elle soit « en morceaux ».
« Heureusement, Gail, qui a trois ans de plus que moi, vient de passer dans la catégorie des 70 [ans], comme ça je suis tranquille pour un moment », dit Nicole Hesse-Cazaux. Selon des témoins, les deux femmes, qui s’évitent hors matchs officiels les années où elles figurent dans la même catégorie d’âge, s’entraînent à nouveau régulièrement ensemble. « Sans l’esprit de compétition, reconnaît Mme Hesse-Cazaux, on ne jouerait plus depuis longtemps. »
« Du rab pris sur l’existence »
Alain Vaysset, 65 ans, qui n’a pas manqué une édition des championnats de France Seniors Plus et est un peu la mémoire de l’événement, regrette que « dans le milieu du tennis, le classement tienne aujourd’hui lieu d’identité ». Ce professeur de tennis tout de blanc vêtu et « monté » de son Languedoc-Roussillon « en décapotable » jure que, pour lui, le tennis n’est pas « seulement une satisfaction narcissique ». Classé 5/6, plusieurs fois champion de France dans les catégories 55 et 60 ans, il arrive « en 65 » avec une réputation de terreur. « Je ne connais pas l’angoisse, ce qui est une de mes forces, dit l’actuel 3e mondial des 65 ans, qui ponctue chaque coup d’un ahanement. L’action motrice, c’est une façon de rester vivant. C’est du rab pris sur l’existence, alors pourquoi se prendre la tête pour un titre national dont tout le monde se fout ? »
Voilà donc Alain Vaysset mûr pour la catégorie des 80 ans messieurs qui, comme celle des 75 ans dames, n’a plus droit à un titre national et doit se contenter de disputer un « Challenge » plutôt que des Championnats de France. Pour refréner des soifs de victoires potentiellement nuisibles à la santé ?
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